Dans le contexte particulier du confinement mis en place par le gouvernement pour lutter contre la propagation du virus Covid-19, nous sommes allés à la rencontre de Valérie Nicolet, doyenne de la faculté de Paris et de Gilles Vidal, doyen de la faculté de Montpellier.

1. Pouvez-vous nous décrire l’impact de la crise sanitaire sur les activités des facultés ?
V.N. La faculté de Paris est impactée comme toutes les écoles et autres établissements d’enseignement supérieur en Île-de-France. Le bâtiment est fermé, ainsi que la bibliothèque. Le personnel administratif est passé en télétravail. Tous les colloques, les conférences, les activités de la faculté sont pour l’instant reportées, annulées ou adaptées pour pouvoir se faire de manière virtuelle. Nous suivons les annonces du gouvernement et nous respectons les mesures mises en place, au fur et à mesure.

G.V. La situation de Montpellier est identique, le campus est fermé et les activités suspendues. Notre préoccupation se porte en particulier sur la douzaine d’étudiantes et d’étudiants confinés dans notre structure d’hébergement, le CUP. Avec l’intendant, nous sommes en relation téléphonique quotidienne avec eux.

2. Comment ressentez-vous cette crise sanitaire ?
V.N.
Je crois que je suis d’abord passée par toutes les phases du deuil et que maintenant, j’en arrive à accepter la situation, en me faisant gentiment à l’idée qu’il faudra adapter notre manière de vivre pour une période plus ou moins longue.

Cette période nous offre matière à réflexion, autour de la notion de crise, et de nos réactions à la crise, qui révèlent des réponses instinctives difficiles à contrôler, des peurs primaires (celle de manquer, de se trouver coupé du monde, mais aussi la crainte de mourir, bien sûr), qui mettent aussi en lumière notre manière de recevoir les injonctions du gouvernement, et qui interrogent sur le concept de contrôle de la population, cher à Michel Foucault. Je me dis que nous pouvons observer ce qui se passe, prendre note, et qu’il sera bénéfique et stimulant, de l’autre côté du tunnel, de réfléchir à ce que nous avons vécu, ensemble, en communauté, à la faculté. Il est encore trop tôt pour planifier, mais j’ai besoin de penser que, quand la crise sera passée, nous pourrons organiser un événement de ré-ouverture de la faculté, pour se retrouver et compenser l’isolement.

Pour ma part, et c’est pour moi la dernière chose, je trouve beaucoup de réconfort dans les initiatives des artistes, humoristes, musicien.ne.s, poètes, écrivain.e.s, mais aussi de nos pasteur.e.s, qui proposent des moments de communauté via les réseaux sociaux, que ce soit en offrant des concerts gratuits, ou en partageant un texte de prière, ou en lisant un poème. La crise nous rappelle l’importance de l’art, de la beauté, de l’humour aussi, dans la manière dont nous pouvons faire face à nos angoisses.

Je sais aussi que j’ai beaucoup de chance d’être dans une situation matérielle qui me permet de profiter de ces initiatives. Pour nos étudiant.e.s qui sont dans des situations plus difficiles, je rappelle qu’ils peuvent nous contacter à la faculté et qu’un certain nombre d’aides d’urgence sont mises en place à travers l’AMIPAT (l’association des ami.e.s de l’Institut protestant, faculté de Paris) pour les soutenir à travers cette crise.

G.V. La situation que nous vivons est extrêmement singulière. Il se trouve qu’il m’est déjà arrivé de connaître des situations de crise. Je me souviens en particulier, alors que j’étais en Nouvelle-Calédonie en 1988, du canon d’un petit char de l’armée braqué sur un petit groupe de personnes dans lequel je me trouvais. Le temps ­de cet instant fut d’une intensité incommensurable alors que sa durée a été brève. Vous êtes saisi et transi, dans le sens de la transe, d’un état second. Avec cette pandémie, la peur ou l’angoisse changent de nature,  « l’ennemi » est invisible et sournois. Les tout premiers jours ont été ceux de l’action. Un peu comme lors des alertes cycloniques : on suit les mesures recommandées, sans panique car on connaît les gestes à accomplir, les endroits où se réfugier. Mais maintenant vient le temps de penser les événements et de les éprouver au creuset de la foi également. Pour ce qui est de la pensée, me sont venus des épisodes connus de l’histoire, comme la fameuse grippe « espagnole » de 1918-19 dont on estime, dans sa fourchette haute, qu’elle a décimée 50 millions de personnes dans le monde. Notre mémoire collective ­— je parle ici de notre contexte français — n’a pas gardé trace de ce temps qui n’est pourtant que celui de nos grands-parents. Et cela m’interroge profondément : comment l’humanité peut-elle être si prompte à oublier le malheur ? Comme le bonheur d’ailleurs ! Un beau sujet de méditation. Mais comme Valérie, je me réjouis des initiatives de solidarité permettant de garder un lien, même virtuel. C’est, entre autres, la grande force d’une religion, re-lier les personnes. Et la foi est ici essentielle : la prière et la communion prennent tout leur sens aussi bien dans l’intimité de l’individu que dans leur somme, formant une communauté invisible. Au fond, dans ce temps exceptionnel, sommes-nous si loin de « l’Église invisible » de nos chers réformateurs ?

3. Quelles sont les mesures mise en place par l’IPT pour faire face à cette situation ?
V.N
. Après les annonces du gouvernement, l’enseignement est passé depuis mardi 17 mars 2020 en mode à distance, soit en diffusant des documents aux étudiant.es ou alors à travers des salles de classe virtuelles. Comme je le disais, la faculté est entièrement fermée (plus d’accès à la bibliothèque, plus d’accueil de groupe non plus), le secrétariat continue de fonctionner, en tout cas par mail. Nous savons que cette crise affecte notre personnel, nos enseignant.e.s et nos étudiant.e.s de manière profonde. Nous nous efforçons de maintenir un fonctionnement plus ou moins normal (préserver la normalité peut aussi être important en situation de crise) mais nous savons que nous devrons peut-être accepter que nous en ferons moins, moins vite, moins efficacement. Si nécessaire, nous adapterons les exigences de validation, et les examens, en restant attentifs à l’évolution de la situation.
Je rappelle encore la possibilité pour les étudiant.e.s en difficulté matérielle de contacter la doyenne ou l’AMIPAT pour un soutien d’urgence.

G.V. La même chose prévaut pour Montpellier : priorité est donnée, dans la mesure du possible, à la continuité de l’enseignement et ces quelques lignes me donnent l’occasion d’exprimer notre immense gratitude envers les enseignants et chargés de cours dont la tâche s’accroît considérablement pour faire les cours à distance ou les mettre en ligne, de même qu’envers les étudiants qui se montrent compréhensifs et volontaires. De même, il nous faut être reconnaissants envers le personnel qui tente de remplir au mieux ses missions avec des moyens extrêmement limités. Certains et certaines sont dans des situations familiales très compliquées, nous essayons de les porter. Comme à Paris, des réseaux entre étudiants se sont mis en place pour lutter contre le repli sur soi et l’individualisme. On ne leur laissera pas prendre le dessus.